En politique, les symboles jouent un rôle de premier plan. Quel est le propre de l’homme ? C’est l’échange, car l’homme ne vit jamais seul. La communauté, la division du travail et l’échange des produits ou des services qui en résultent sont la base de toute activité humaine depuis la famille, la tribu jusqu’à l’humanité toute entière. Mais cette réalité vitale est inséparable de ce qui constitue l’essence de l’humain : le langage, l’échange des signes qui comprend certes les langues, mais aussi les multiples signaux et symboles qui recouvrent tous les comportements humains, que ce soit la cuisine, comme l’avait montré Levi-Strauss, la façon de s’habiller, les règles de politesse. Toute communauté humaine utilise des codes au travers desquels les membres communiquent et affirment leur identité non seulement à l’intérieur du groupe mais aussi et surtout leur identité commune par rapport aux autres groupes. La langue nationale ou le drapeau ne sont donc pas des symboles désuets de particularismes, révolus dans une conception matérialiste de l’humanité, alors réduite à des échanges économiques entre individus, dans un marché mondial dont les entités collectives dominantes seraient des entreprises. Cette vision futuriste imaginée dans certains scénarios comme celui de Rollerball est aujourd’hui confortée par l’existence de multinationales d’une puissance supérieure à celle de nombreux Etats et qui peuvent aussi influencer de l’intérieur des Etats apparemment plus puissants qu’elles. La tentative de sécession catalane offre à cet égard un exemple de confrontation entre ces deux niveaux de la vie humaine, l’économique et le symbolique. Les indépendantistes catalans ne revendiqueraient pas leur indépendance si la Catalogne n’était pas la région la plus riche d’Espagne. Mais ils affirment cette volonté par le biais d’une langue, d’un drapeau et d’un hymne qui mobilisent les foules bien plus que l’exigence d’autonomie fiscale. Indépendants ou pas, les Catalans savent bien qu’ils continueront à échanger avec le reste du monde, mais peut-être dans des conditions plus difficiles qu’actuellement. Les entreprises, notamment les Banques s’en émeuvent et font pression, mais c’est la volonté politique des partisans de l’unité espagnole qui sera décisive, car dans la vie réelle plus que dans les fictions d’anticipation, l’homme n’est pas qu’un producteur-consommateur. Il est aussi et avant tout un animal politique, un être vivant davantage animé par ses émotions, ses passions, mais aussi sa spiritualité, plus que par la satisfaction de ses besoins ou de ses désirs matériels. Car il sait ou sent plus ou moins confusément que sans cette dimension, la vie humaine serait un formidable gâchis qui ne vaudrait pas la peine d’être vécue.
C’est cette intuition qu’a formulée Simone Weil, la philosophe dans son essai, “l’Enracinement” : “L’enracinement reste peut-être le besoin le plus important de l’âme humaine. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d’avenir”. La décision prise par le Président Macron de faire reconnaître par la France les symboles européens définis par la Déclaration 52 du Traité de Lisbonne, et notamment le drapeau et l’hymne est de ce point de vue très intéressante. L’Elysée la présente comme “un geste avant tout symbolique et politique”. Cette initiative, comme tout ce que fait l’homme que les Français ont élu, est ambivalente. D’une part, elle est logique de la part de celui qui, par surprise, est devenu le Chef d’Etat ou de gouvernement européen le plus “européiste”, alors qu’il dirige un pays qui a, à plusieurs reprises, montré sa réticence devant la construction européenne. Elle marque une volonté à contre-courant de la tendance populiste qui se développe en Europe centrale avec les votes autrichien et tchèque. Mais, d’autre part, elle peut étonner de la part d’un dirigeant qui privilégie l’économie, et dont l’expérience la plus concrète a été celle des affaires. Macron, c’est le rêve politique de Minc, le libéral “de gauche”, le chantre de “la mondialisation heureuse”, et d’une Europe, “havre de paix”, ouverte au monde. En fait, il n’y a pas de contradiction. Il y seulement une manoeuvre un peu cynique, comme les visites du candidat à Orléans pour la célébration de Jeanne d’Arc ou au Puy du Fou, une récupération d’un symbole qui fait de celui-ci moins une expression qu’un écran. L’émotion qui étreint un patriote qui entend son hymne ou voit monter ses couleurs est une réalité humaine, un de ces “trésors du passé”, de ces “pressentiments d’avenir” qu’évoquait Simone Weil. Les symboles européens n’ont pas de passé. Ce sont des constructions artificielles. C’est cette absence de racine qui les rend illégitimes, et non au contraire, ce qui pourrait les ancrer dans une tradition commune, comme la référence chrétienne des supposées “étoiles de Marie” sur le drapeau européen, que stupidement stigmatise Mélenchon. Le drapeau français comporterait un blason fleurdelysé sur sa partie blanche qu’il serait d’autant plus complet !
Quelle politique Macron poursuit-il, que cette reconnaissance des symboles européens révèle autant qu’elle masque ? Il veut un monde selon lui efficace où les individus les plus performants plus mobiles et donc plus libres dans des sociétés de plus en plus “liquides” assureront la meilleure croissance dans un cadre défini par des lois et des accords à l’abri de la déraison des peuples grâce à la collaboration de technocraties responsables. Dans un tel système, la technocratie européenne est au niveau, même s’il faut la réduire pour l’instant à “l’Euroland”. Dans ce contexte, il ne sera plus utile de sauvegarder une industrie française dépassé par la machine allemande. Comme dans toute fusion d’entreprises, il faudra veiller à la complémentarité. Le Brexit fournit l’opportunité pour la France d’être le partenaire de l’Allemagne pour les services et la finance. Comme un tel projet ne peut faire rêver qu’un banquier, il faut bien lui attribuer un supplément d’âme. Pour le coup, l’arrangement de l’Ode à la Joie de Beethoven qui a été retenu pour devenir l’hymne européen soulève quelques questions. Il s’agit d’une composition d’un musicien allemand, Beethoven, sur le texte d’un poète allemand, Schiller. Etant donné le poids de l’Allemagne dans l’Europe de Macron, on ne peut que s’inquiéter. Les paroles n’ont pas été retenues : elles auraient été ridicules pour les uns, odieuses pour les autres. “Le chérubin se tient devant Dieu”, “ce baiser au monde entier”, “tous les hommes deviennent frères” ne peut que faire sourire les gens sérieux ou agacer les “laïcards” enragés. La première phrase d’une traduction française envisagée : “Etincelle, Ô joie divine jaillie de l’Elysium” aurait pu être comprise comme une célébration du génie de l’Elysée. La Marseillaise date du XVIIIe, mais elle conserve la dimension tragique de l’Histoire. L’Ode à la joie, date de la même époque, mais c’est plutôt “l’embarquement pour Cythère”, en contradiction totale avec l’âpreté du monde actuel auquel l’Europe aurait tort de faire les yeux doux. Il ne faut pas se laisser mener en bateau.
3 commentaires
Ce pauvre pitre Mélenchon est tellement cathophobe, et donc antifrançais, qu’il en est ridicule! Ses propos et son attitude révolutionnaires sont de plus en plus anachroniques! encore un nuisible qui , non seulement ne comprend rien à l’économie, mais en plus ne comprend rien à l’histoire!
Oui Christian l’économique ne peut diminuer l’importance du symbolique .Car l’enracinement est le besoin le plus important de l’âme humaine .
Notre drapeau français est plus émouvant que le drapeau européen qui reste une construction artificielle .
Et la Marseillaise nous fait vibrer beaucoup plus que l’Hymne à la Joie .
Vive le Frexit .
Un petit bémol au dernier commentaire…les drapeaux breton ,corse ou autres ont certainement été plus respectés par les intéressés que le drapeau français au début de sa création.
Les générations qui se succéderont à l’avenir vont certainement changer leur intérêt pour le drapeau tricolore et notre chant national en fonction des évènements.
Consolons-nous en disant que nous ne serons plus là pour le voir…