Intervention sur le projet de loi pénitentiaire

M. Christian Vanneste. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le travail de la commission des lois me rappelle souvent ce dessin animé dérangeant qu’accompagnait de sa voix Claude Piéplu. En effet, j’y ai souvent l’impression d’assister à des séances de plomberie juridique obéissant au principe : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Bref, à force de chercher le diable dans les détails, on manque l’essentiel.

La loi pénitentiaire le confirme. Elle présente une apparence et une réalité, et brouille l’écart entre l’une et l’autre. L’apparence, c’est le souci d’humaniser les prisons, d’affirmer la dignité des détenus et de favoriser leur réinsertion, comme on l’a souvent entendu ce soir. Or, cette évolution contraste quelque peu avec les accents martiaux des lois répressives que nous avons votées encore dernièrement – je pense au texte consacré aux bandes. La réalité lancinante, qui demeure, c’est la surpopulation carcérale : le véritable problème auquel cherche à répondre cette loi.

Soyons objectifs : le nombre de personnes incarcérées en France n’a rien d’exceptionnel. Le taux d’incarcération y est plus faible qu’aux États-Unis, bien sûr, mais aussi qu’en Grande-Bretagne ou en Allemagne. (Murmures sur les bancs du groupe SRC.)

Par ailleurs, le double dysfonctionnement qui tient au rapport entre le nombre de détenus et le nombre de places, et au nombre de condamnations non exécutées résulte, non pas du caractère trop répressif des lois, mais de l’insuffisance des moyens. La population française augmente, la criminalité croît plus vite encore. Le seuil des 4 millions de crimes et délits avait été franchi avec le millénaire, madame Guigou. La majorité actuelle n’a à rougir ni du nombre d’infractions, qui a baissé, ni du nombre de places de détention, qui s’est accru – hélas trop lentement. En marge du plan qui vise à créer 13 200 places d’ici à 2012, cette loi a pour but d’accélérer le flux pour l’adapter aux capacités d’accueil.

Au-delà de cette apparence et de cette réalité, je voudrais rappeler quelques idées qui me paraissent essentielles.

Première idée : une société qui croit en ses valeurs ne doit pas avoir honte de punir ceux qui les transgressent.

Deuxième idée : les objectifs de la punition ne sont pas seulement la protection de la société et la réinsertion du condamné, mais aussi l’apaisement des victimes et la cohésion sociale – ce que Durkheim caractérisait comme la réponse que la justice doit apporter à la blessure infligée à la conscience collective par le crime. Ce dernier point est aujourd’hui tragiquement oublié. Au reste, la prison n’est ni le seul ni le meilleur moyen de répondre à cette exigence.

Troisième idée : les moyens de la peine doivent être cohérents et adaptés. Le paysage actuel est baroque : il y a des condamnés à la prison qui n’y sont pas ; il y a, dans les prisons, des détenus qui ne devraient pas y être, par exemple ceux qui relèvent de la psychiatrie ; il y a ceux que les bavures judiciaires ont relâchés trop vite ; il y a le succès des gadgets électroniques qui fascinent autant le monde judiciaire qu’Harry Potter celui du cinéma ; il y a, enfin, l’insuffisante mise en œuvre du travail d’intérêt général.

Une peine cohérente et adaptée doit obéir à trois principes : elle peut et doit être pénible, dans un premier temps au moins, lorsque cela contribue à la prise de conscience de la faute. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

La peine doit aussi protéger les victimes et écarter la récidive. Lorsqu’elle permet à un agresseur de narguer, de menacer sa victime ou d’en faire une nouvelle, elle inverse alors les rapports : c’est la victime qui voit sa liberté et sa dignité restreintes. Les statistiques des libérations réussies ne valent rien auprès de la jeune femme violée et assassinée par un agresseur en semi-liberté.

Enfin, cette peine doit être graduée afin de permettre au condamné, quand c’est possible – et, pour quelques exceptions, cela ne l’est jamais – de redevenir un citoyen à part entière. Le travail doit jouer un rôle essentiel, soit dans le cadre carcéral, soit à l’extérieur, sous la forme du travail d’intérêt général. C’est la seule activité qui allie l’idée de la peine, satisfaisante pour la conscience collective et pour les victimes, et celle de la rédemption, qu’on appelle aujourd’hui, laïquement, la réinsertion. Travailler, c’est se rendre utile, c’est pouvoir retrouver l’estime de soi et aussi celle des autres.

D’une certaine manière, l’évolution actuelle de la justice pénale – et ce projet de loi le confirme – donne raison à Michel Foucault, qui soulignait plusieurs glissements : tout d’abord, de la peine vers la condamnation, l’exécution de celle-ci étant différée ou assouplie ; ensuite, de la punition vers la guérison, alors que, si, malheureusement, certains détenus sont malades, tous ne le sont pas : ni génétique, ni sociologique, l’acte libre existe et il doit être sanctionné ; enfin, de la sanction des hommes libres au contrôle des êtres dangereux, et le bracelet électronique est le signe le plus évident de cette malheureuse tendance.

Pour conclure, j’invite mes collègues de la majorité à retrouver la philosophie de la liberté qui nous anime, sans cette mauvaise conscience qui risque de nous inciter à insérer dans la loi des mesures contradictoires avec celles que nous proposons depuis sept ans. Les droits des détenus doivent être reconnus.

Pour autant, cela ne doit pas entraver l’exigence légitime du bien commun : la sécurité de tous les citoyens.

Je souhaiterais donc que le texte actuel soit corrigé dans un plus grand souci d’équilibre et que l’on fasse preuve de la lucidité qui consiste à reconnaître que la justice exige des moyens qu’elle ne possède pas actuellement. C’est là que se situent le véritable problème et sa solution.

La personnalisation des peines, que vous avez soulignée à juste titre, madame la ministre d’État, est une excellente idée.

Mais elle demande des moyens que 5 000 nouvelles places ne donneront pas, pas plus que l’accélération des flux. Plus de fermeté dans cette loi, plus de diversité dans le traitement des condamnés, plus de moyens : voilà ce qui est nécessaire ! La philosophie personnaliste est une excellente philosophie, monsieur Blanc, mais elle exige beaucoup de moyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

(…)

M. Jean-Marie Bockel. Pour ce qui est de la place de la victime, monsieur Vanneste, il y aura, lors de l’examen des articles, un amendement consistant à baisser de dix à cinq ans le seuil permettant à l’avocat des parties civiles d’être associé à la décision de libération conditionnelle. Nous aurons sans doute une discussion intéressante à propos de cet amendement.

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