L’indépendance et le réalisme doivent diriger la politique étrangère de la France. Si on peut défendre ce principe et se souvenir que notre pays dans les pages les plus glorieuses de son Histoire n’a pas hésité à pratiquer les alliances de revers, par exemple lorsque François 1er ou Louis XIV s’alliaient avec le Grand Turc contre le très catholique empire des Habsbourg, il est important de mesurer les enjeux de cette stratégie. Louis XIV a agrandi la France au détriment de l’Empire en profitant de la guerre que celui-ci devait mener contre les Ottomans. En revanche, il a renforcé par les “capitulations” le rôle reconnu à notre pays par la Sublime Porte de protecteur des Chrétiens sur son territoire. Si l’intérêt du royaume était primordial, l’honneur était sauf. L’idéologie est souvent le masque qui cache les ambitions des grandes puissances. Il est nécessaire de ne pas en être dupe et de s’en dégager lorsque l’intérêt national est en jeu. Encore faut-il mesurer les composantes de ce dernier. Un marché pour notre industrie est une bonne nouvelle, à condition que celui-ne soit pas payé par des difficultés pour d’autres secteurs économiques, le transport aérien en l’occurrence, par une influence excessive du pays acheteur sur notre économie ou certains secteurs de notre société ou par un soutien indirect à des ennemis dangereux et irréductibles.
Le privilège accordé au Président de la République Française d’assister à la réunion du Conseil de Coopération du Golfe, après l’achat de 24 “Rafale” par le Qatar est un événement chargé de sens. Il marque l’engagement de la France dans une politique internationale très favorable aux pays arabes sunnites et conservateurs. Il n’y a pas de changement par rapport à la ligne du Président Sarkozy qui l’avait amené à la malencontreuse aventure libyenne. Le grand écart est simplement plus acrobatique puisqu’il conduit un gouvernement de gauche à manifester beaucoup de sympathie à des régimes qui sont théoriquement aux antipodes de ses valeurs “républicaines”, des monarchies familiales, souvent absolues, peu soucieuses des Droits de l’Homme, et encore moins de ceux de la femme, qui, pour deux d’entre-elles se réclament ouvertement du Wahhabisme, un salafisme qui les rend suspects de complicité avec le djihadisme. En ce moment même, l’Arabie Saoudite est mise en cause par l’ONU, en raison de son intervention militaire au Yemen qui risque de précipiter une catastrophe humanitaire et pour sa répression cruelle de la liberté d’expression. Le blogueur Raëf Badawi qui avait voulu créer un site, “Liberal Saudi Network” a été condamné à 1000 coups de fouet, 10 ans de prison et 300 000 Euros d’amende. Au bord de la mort après la première séance de flagellation, il risque d’être bel et bien condamné à mort pour apostasie. Il y a chez François Hollande entre l'”esprit du 11 Janvier” et les salamalecs de Doha et de Riyad comme de la schizophrénie… Si on y ajoute les rodomontades contre le “régime”de Damas qui, contrairement à l’Arabie saoudite tolère la diversité des cultes, on se dit qu’il y a une étonnante contradiction entre les valeurs proclamées à l’intérieur et celles de nos alliés à l’extérieur.
En fait, l’alliance de revers aurait pu consister à se dégager de l’orbite américaine pour adopter une attitude plus compréhensive à l’égard de la Russie et de ses alliés iranien et syrien. Cette ligne, certes délicate à l’égard des pays de l’Union Européenne issus de l’ancien bloc soviétique, aurait davantage retrouvé les positions de de Gaulle ou de Chirac, et de certains de leurs prédécesseurs, dans le passé. L’alliance avec la Russie, tsariste ou stalinienne, contre l’Allemagne, le refus de soutenir les USA au Vietnam et dans leur intervention calamiteuse en Irak, témoignaient d’une volonté d’indépendance lucide que nous n’avons pas à regretter. Elles ne servaient pas des intérêts économiques étroits et immédiats. Le tropisme arabe actuel de la France est d’une autre nature. La France joue les chevaux-légers de l’atlantisme et paraît empocher, auprès des richissimes émirats du Golfe, la récompense d’une plus grande rigueur à l’égard de la Syrie et de l’Iran. Cette stratégie peut affirmer sa cohérence depuis l’Institut du Monde Arabe, jusqu’à notre soutien politique aux pétro-monarchies, en passant par une grande indulgence envers l’islam dans les discours, et un accueil bienveillant à l’immigration musulmane. Elle peut avoir des arrière-pensées électorales fondées sur l’importance de la population sunnite de notre pays. Elle peut aussi se réduire à une tentative désespérée d’obtenir à l’étranger les moyens d’une prospérité économique qui a été étranglée à domicile. Dans ces deux dernières hypothèses, une telle politique à courte vue risque d’entraîner des conséquences désastreuses pour notre indépendance. Au premier rang, figure la consolidation d’un vivier salafiste dans la population métropolitaine. Si la proie est le pouvoir d’achat des pétro-dollars, l’ombre en quoi peut subsister notre seul butin serait d’avoir accru nos difficultés intérieures, par exemple les menaces qui pèsent sur la “communauté” juive, en ayant par ailleurs oublié notre tradition séculaire de présence auprès des Chrétiens du Moyen-Orient, abandonnés aux djihadistes. Comme l’affirmait le Général de Gaulle, en 1940, à côté du bon sens et de l’intérêt supérieur de la patrie, l’honneur d’une nation doit aussi s’inscrire dans le réalisme d’une politique.
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DE GAULLE au secours !