Rétablir la peine de mort ?

La peine capitale est l’un des sujets devenus tabous en France. La trilogie infernale de la pensée unique, du politiquement correct et du terrorisme intellectuel fusille paradoxalement celui qui ose en parler. C’est le type même de consensus mou qui s’impose dans nos sociétés comme l’expression d’un progrès inéluctable que rien ne peut remettre en question. On reconnaît là un élément symbolique de l’idéologie implicite qui règne en Europe et anime les groupes de pression, les ONG notamment, qui influencent la pensée mondiale surtout en Occident. Amnesty International est sans doute l’organisation la plus connue qui milite en ce sens au nom des Droits de l’Homme, en considérant que la peine de mort transgresse l’article 3 de la déclaration universelle qui affirme le droit à la vie, et l’article 5 qui proscrit les peines cruelles et inhumaines. Chaque année, elle publie un rapport qui fustige les Etats qui pratiquent des exécutions et souligne le recul de cette pratique, comme si l’évolution était inexorable. 104 pays l’ont abolie juridiquement, 9 l’ont limitée, et 28 suspendue. Cette apparente majorité de 121 Etats sur 194 est inversée si on tient compte de la population : sur les 7,7 milliards d’humains, les 2/3 vivent dans des pays qui utilisent légalement la peine capitale.

Contrairement au discours unanimiste illusoire des abolitionnistes, les motifs de ce maintien sont divers, et dépendent en grande partie des particularités culturelles. Une fois encore, c’est Huntington qui a raison de Fukuyama, le choc des civilisations l’emportant sur le cosmopolitisme. L’Europe, et l’Amérique ont très majoritairement aboli la peine capitale, soit en raison du poids du christianisme, et notamment de l’église catholique, soit à cause de l’horreur du nazisme et de la culpabilité ressentie bien au-delà des pays et des hommes responsables de ses crimes. Les Etats-Unis sont une grande exception puisque la majorité des Etats l’ont conservée, voire rétablie. Aucune culpabilité après la seconde guerre mondiale, une histoire nationale marquée par la brutalité de l’ordre, et un respect de la volonté populaire allant dans de nombreux Etats jusqu’à la démocratie directe, expliquent cette particularité. L’Asie, en revanche, est très majoritairement favorable à la peine de mort, non seulement dans les Etats non-démocratiques, comme la Chine ou la Corée du Nord, mais dans des démocraties, comme le Japon, l’Inde ou Singapour. Cela tient au rapport entre l’individu et la collectivité. Dans l’occident actuel, le christianisme et le libéralisme ont produit une pensée qui place théoriquement le respect de la vie de l’individu et de ses choix au-dessus de l’intérêt de la société, voire de ce qu’une pensée plus traditionnelle du christianisme appelait son “bien commun”. En Asie, c’est une conception plus durkheimienne qui l’emporte : le crime est une blessure infligée à la conscience collective. Celle-ci doit être guérie par une peine proportionnelle. Le crime le plus odieux doit recevoir la peine la plus lourde. C’est ainsi que l’Inde ou le Japon justifient la peine de mort. De manière plus pragmatique, c’est la criminalité la plus dangereuse pour la société qui est la plus sévèrement combattue, la drogue par exemple à Singapour, qui justifie aussi le rétablissement de la peine capitale aux Philippines. Bien sûr, s’y ajoutent les Etats musulmans d’Asie et d’Afrique qui appliquent des châtiments souvent inspirés de la Charia et qui étendent la peine de mort à des crimes religieux, comme la transgression sexuelle. C’est là que la liberté individuelle est la plus niée, puisqu’une simple parole peut coûter la vie. Le cas d’Asia Bibi condamnée à mort pour blasphème avait ému tout l’Occident !

Certains pays soulignent la relativité des situations. Beaucoup de pays qui conservent la peine capitale ne l’appliquent plus. C’est le cas de pays arabes ou musulmans influencés par la pensée française comme les anciennes colonies ou protectorats de la France en Afrique. En revanche, un paradoxe saute au yeux en Amérique latine : des pays abolitionnistes détiennent des records mondiaux de criminalité, le Vénézuela, 3e au monde, ou le Mexique, par exemple. Il est probable que l’empreinte catholique explique l’abolition, puisque les derniers Papes ont été fermes sur la condamnation de la peine de mort. Il faut toutefois rappeler, d’une part qu’ils s’opposent à l’avortement, c’est-à-dire à la mort d’innocents par excellence, d’autre part que cette condamnation fondée sur les dix commandements est doublement discutable : d’abord, “tu ne tueras pas” est mieux traduit par “tu ne commettras pas de meurtre”, ensuite, un autre texte de la Bible, celui du Lévitique donne la liste des actes qui méritent la mort…

C’est pourquoi, il n’est pas impensable de s’interroger à nouveau sur le rétablissement de cette peine qui aurait au moins le mérite de restaurer une pyramide raisonnable des sanctions. L’impunité pour la criminalité banale s’explique par le fait qu’on répugne à punir à proportion les faits les plus horribles. Peu importe de savoir si la peine est exemplaire ou dissuasive. Il est périlleux de laisser penser qu’un crime demeure impuni, car cela, à défaut se susciter le prosélytisme, cultive une “anomie”, un affaiblissement de la foi ou de la confiance envers les valeurs et les règles de la société au sein de laquelle on vit. Le spectacle odieux de terroristes comme Salah Abdeslam ou Mehdi Nemmouche, se prélassant en prison et invoquant leur “droit au silence”, dans des sociétés où des SDF meurent de froid dans la rue, est-il “chrétien”, “humaniste” ? Il crée, à défaut d’une révolte impuissante, un doute contagieux sur les raisons de croire en l’avenir de nos sociétés. Mais peut-être est-ce là la face cachée du “progressisme” : inoculer les poisons mortels, ruiner les immunités nécessaires, condamner à mort une civilisation et les sociétés qui la composent ?

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15 commentaires

  1. Si la peine de mort était rétablie il est certain que le nombre de meurtres -ou équivalents- diminuerait très sensiblement – Il faut être inconscient pour ne pas le comprendre.!!

  2. ” la face cachée du “progressisme” : inoculer les poisons mortels, ruiner les immunités nécessaires, condamner à mort une civilisation et les sociétés qui la composent.” oui car nos sociétés ont oublié que le progrès n’est pas positif en soi, il peut être positif ou négatif selon le sujet ou l’objet du progrès: on dit bien qu’une épidémie progresse, et cela ne peut en aucun cas être positif…quand nos société parlent de progrès, ils signifient “fuite en avant” , “faisons table rase du passé” etc… cela n’est en rien favorable à l’humanité; malheureusement la plupart des gens omettent de réfléchir; ne serait-ce que sur ce paradoxe : ils condamnent la peine de mort, mais trouvent normal de tuer quelques 250 000 foetus chaque année en France, en refusant de reconnaître qu’il s’agit d’êtres humains particulièrement vulnérables…les droits de l’homme? quand ça les arrange !

  3. On peut estimer également que la contraception est une peine de mort préventive. Ce sujet ne mettra jamais philosophiquement tout le monde d’accord. Dans la religion Chrétienne, ne voit-on pas la représentation des Archanges terrasser le dragon ou la Vierge Marie écraser du pied la tête du serpent.
    Cette peine existe toujours dans notre pays par la mort des innocents condamnés des terrorismes ou des récidivistes et qui seraient peut-être encore vivants si on avait été capable d’assumer ce type de responsabilité. Badinter a certainement bien réfléchi, mais les faits sont là.
    Quelle est l’ alternative à cette peine?
    Une détention à vie? Sous surveillance permanente, sans même pouvoir se suicider? N’est-ce pas là une situation inhumaine que devrait plutôt dénoncer l’angélisme des Droits de l’Homme?
    la peine de mort retrouvera peu-être un jour ses lettres de Noblesse et Dieu sait si cette dernière en connait un rayon !
    Mais en attendant, gardons la tête sur les épaules car en France, revenir en arrière, ce n’est jamais demain la veille.

    1. “On peut estimer également que la contraception est une peine de mort préventive.”
      Vous n’êtes pas logique : Catholique, ou pas, la contraception empêche la conception, il n’y a donc pas mort; Si l’Eglise refuse la contraception c’est dans l’optique que les relations sexuelles sont sensées servir à la procréation, à la perpétuation de l’espèce… cela n’a rien à voir avec la peine de mort ; mais l’avortement, si : un coeur qui bat, un cerveau … un être humain en cours d’évolution … qu’on élimine .
      Je suppose que dans le langage de l’Eglise la contraception serait un péché véniel, mais l’avortement un péché mortel , non ?

  4. Pas logique en effet, mais pas très loin ! Quant à l’Eglise, elle ne sait plus très bien elle-même ce qui est véniel ou mortel. Encore un autre Concile et tout cela peut changer du jour au lendemain. Dommage qu’ils aient lieu tous les cinquante ans, c’est beaucoup trop long pour un Monde qui bouge si vite…Il est grand temps que nos évêques échangent leurs petites chaussures pointues à pompon par des “nike”.

  5. La peine de mort est la sanction suprême des sociétés qui veulent se maintenir en vie. La nôtre, doucement mais sûrement, crève. Comme je suis un esprit simple et un homme un peu fruste, je suis pour mais en l’adaptant. Pour les meurtriers et violeurs d’enfants : le pal en place publique ; pour les autres, il suffira de les passer par les armes au petit matin, avec une balle à blanc pour un des tireurs. C’est propre, c’est économique. Reste le sort des islamistes, massacreurs de compatriotes qui adorent couper les têtes. Je vous laisse deviner…

  6. Vous semblez oublier, Monsieur Vanneste, le principal argument CONTRE la peine de mort: la justice des hommes n’est pas infaillible et la peine de mort est irresversible. Des erreurs judiciaires ont été commises, que ce soit en France, aux Etats-Unis ou ailleurs et l’idée que des innocents puissent être exécutés est tout simplement odieuse… De plus, elle est aussi inégale, puisque si l’on est riche et blanc, aux Etats-Unis, on a moins de “chances” d’être condamné à mort que si l’on est pauvre et noir, par exemple. Vous souvenez-vous du cas de ce garçon noir de 14 ans, exécuté (à tort) pour le viol et le meurtre d’une fille blanche?

    1. Cet argument a de moins en moins de poids pour trois raisons : d’abord, si la peine de mort était rétablie, elle ne pourrait viser que des crimes particulièrement odieux, en petit nombre, sur lesquels il n’y a guère de doute ; ensuite, les moyens scientifiques et techniques d’investigation, tels que la video-surveillance, le suivi des portables, les analyses d’ADN, etc… ont énormément progressé ; enfin, le laxisme judiciaire a inversé le risque : désormais, ce sont des innocents qui paient de leur vie, la remise en liberté par des juges inconscients et mal formés de criminels extrêmement dangereux.

  7. Dans l’absolu, refuser de se reproduire, c’est déjà condamner à mort l’humanité. D’un autre coté, l’excès de naissance peut aussi mener l’humanité à sa perte.

    “Croissez et multipliez-vous” qu’Il disait ! , il aurait pu aussi rajouter : “Pour le reste je m’en occupe (épidémies, famines, maladies, tremblements de terre,volcans, météorites) à moins que la bêtise humaine elle-même ne me vienne en aide! (bombe atomique, réchauffement climatique, guerres civiles et j’en passe).

  8. Certainement, je n’en doutais pas, mais en cas de viol, c’est toujours les mêmes qui sont enm…! Le suffrage français est universel et non sélectif, mais dans ce cas, c’est bien dommage! Je serai curieux de savoir ce qu’en aurait pensé Simone Veil .

    1. Le viol n’est pas actuellement retenu comme une justification de l’avortement, puisque celui-ci en France ne dépend que de la volonté de la femme et de la durée de la gestation. Personnellement, l’avortement en cas de viol me paraît légitime…

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