Excellente tribune, publiée sur Médiapart -étonnant ?-, de deux journalistes, anciens présidents de Reporters sans frontières. Je me suis toujours interrogé sur la différence de traitement entre l’affaire Charlie Hebdo et la mienne. Souvenez-vous de ce que j’écrivais à l’époque sur mon bloc-note :
“Nationalement, après la demande de relaxe du Procureur de la République dans l’affaire Charlie-Hebdo, j’en viens à me demander s’il est désormais plus heureux d’être militant des khmers roses ou caricaturiste que philosophe, député ou croyant ? La liberté d’expression ne peut se diviser : soyons cohérents, si elle doit exister pour un journal satirique, elle doit aussi l’être pour un législateur qui s’exprime sur une loi ! Mais LA FONTAINE l’avait prévu avant nous : selon que vous serez puissant ou misérable…”
Robert Ménard et Pierre Veilletet me rendent justice :
Le député UMP Christian Vanneste avait tenu des propos contestés sur l’homosexualité. Poursuivi, l’élu fut condamné par le tribunal correctionnel de Lille en janvier 2006, jugement confirmé par la cour d’appel de Douai en janvier 2007. Un arrêt de la cour de cassation (12 novembre 2008) vient de casser « sans renvoi » l’arrêt de Douai, estimant que tout cela ne dépasse pas « les limites de la liberté d’expression » (loi de 1881 et Convention européenne des droits de l’homme). On aurait pu croire l’affaire sagement classée et bientôt oubliée. Mais les plaignants s’indignent et leur indignation est relayée dans les médias et sur la Toile.
Comprenons-nous bien. Il ne s’agit pas ici de prendre parti pour Christian Vanneste. Mais simplement d’observer que, de plus en plus souvent, l’indignation – qu’elle soit légitime, sincère ou surjouée – a meilleure presse que la liberté d’expression. On traque partout l’offense, on la débusque, on la traîne devant les tribunaux. Sans s’aviser, ou si peu, que cette vigilante susceptibilité, cet empressement à dénoncer le moindre mot plus haut que l’autre, déviant, scandaleux, réduit à proportion égale la libre parole. D’autant plus sûrement que les « victimes » ayant toujours raison et qu’il y a surabondance de candidats au statut héroïque d’offensé, la sympathie leur revient plus volontiers qu’à un vieux principe plus ou moins libertaire. Oh ! certes, tout le monde est pour la liberté d’expression, sauf que chacun a de justes exceptions à lui opposer.
Un exemple ? Lors de l’affaire des « caricatures de Mahomet », Charlie Hebdo n’a pas manqué de défenseurs, d’ardeur variable, mais on dénombrait au moins autant de sermonneurs déplorant son « irresponsabilité », son « inutile provocation ». (…)
Pour en revenir, une dernière fois, à l’arrêt Vanneste, on craint que quelques-unes de nos meilleures consciences se seraient mieux accommodées d’un recul de la liberté d’expression que du soupçon d’avoir manqué à la cause anti-homophobe. Etre du bon côté ne suffit donc pas, il importe également que l’impudent soit châtié et condamné au silence. Ce néo-pharisaïsme – « voyez comme je suis fidèle et impitoyable avec les impies » – témoigne de la nostalgie, toujours à l’œuvre, d’une vérité révélée, unique, incontestable. Semblable zèle porte un nom : l’intolérance.
Un commentaire
Très bon article