Le pouvoir qui préfère la repentance à la fierté nationale trahit la nation. (II)

La vérité scientifique est relative et on sait qu’une thèse dogmatique et non falsifiable ne mérite pas d’être une science. La vérité scientifique n’est que celle d’une théorie qui peut être dépassée par une autre théorie et qui accepte d’être exposée à ce risque. Cela dit, “l’erreur rectifiée” en physique permet néanmoins des prévisions et la mise en oeuvre de techniques efficaces. L’expérimentation est évidemment le meilleur moyen de tester la résistance d’une proposition à la réfutabilité. Comme on l’a vu récemment avec le débat sur la thérapeutique mise en oeuvre par le Professeur Raoult sans avoir procédé à une expérimentation qui aurait conduit à ne pas traiter vraiment une partie des malades, la médecine est d’une scientificité plus souple que la physique ou la chimie, notamment parce qu’elle a l’homme comme objet. Accepter de ne pas soigner la moitié des malades pour que l’expérience soit parfaite est moralement inacceptable.

Lorsqu’on évoque les historiens comme détenteurs d’une vérité scientifique devant laquelle il faudrait se prosterner, on se moque du monde. D’abord, l’histoire est une recherche diachronique qui établit l’existence de faits uniques. Elle ne peut en induire des lois qui fixeraient la causalité ni la répétition de ces événements. Elle ne peut faire appel à la méthode expérimentale. L’échec des lois historiques, celles du marxisme par exemple, est patent. Il y a des philosophies de l’histoire, c’est-à-dire des interprétations qui appartiennent davantage à l’idéologie qu’à la science. La vérité historique est plus proche de celle du juge que de celle du savant : que s’est-il passé ? quelle est la cause ? Quel est le motif ? Qui est l’auteur ? Quant à savoir si ce dernier est un héros ou un criminel, si on doit lui élever une statue ou au contraire débaptiser la rue qui porte son nom, cela dépendra de la mode idéologique qui dominera à l’époque où l’historien écrit et la réponse sera déterminée par l’orientation politique de celui-ci. C’est ainsi que le livre de Sylvain Gouguenheim “Aristote au mont Saint-Michel” avait déclenché une polémique parce qu’il osait toucher à un tabou de la bienpensance historique : le Moyen-Âge chrétien aurait retrouvé la philosophie grecque grâce aux musulmans d’El-Andaluz. C’était négliger l’existence de l’Empire Byzantin, grec et chrétien,  jusqu’au XVe siècle et les contacts de celui-ci avec l’Occident par Venise, notamment. Le Grec a été traduit directement en latin sans passer par l’arabe d’ailleurs mal adapté à la pensée d’Aristote. Ce sont des chrétiens syriaques, des chrétiens d’Orient qui avaient transmis la pensée grecque au monde islamique.

Cet exemple montre combien il est difficile dans toutes les sciences humaines de détacher la connaissance de préjugés ou de préférences idéologiques, mais dans l’histoire plus encore parce que la politique est au coeur de celle-ci, et qu’il est fréquent de projeter dans le passé des préoccupations actuelles. La lecture historique de la Révolution a été biaisée par la volonté de légitimer la République, puis par l’idée que la révolution communiste russe était la deuxième étape vers la parousie socialiste. Depuis Furet, Soljenitsyne, Courtois, et quelques autres,, on connaît mieux les crimes de la Révolution française notamment à partir de 1792, et on sait que la dictature bolchévique issue du coup d’Etat de Lénine n’a fait qu’amplifier et pendant longtemps l’horreur de la dictature “montagnarde”. Lorsque le présent fait appel au passé sur un mode passionnel, il ne fait plus de l’histoire mais de la mémoire, il commémore. L’histoire est une recherche complexe qui exige de la précision et des références, l’histoire qu’on enseigne à l’école ne peut répondre à cette exigence : elle sélectionne les faits et leur présentation elliptique est forcément orientée. Madame Taubira a ainsi imposé par la loi l’enseignement de l’esclavage occidental dans l’Atlantique et l’Océan indien, en omettant sciemment la traite en Méditerranée et en Afrique, d’Alger à Zanzibar par les musulmans. Il s’agit d’un enseignement de l’histoire officielle, quasi totalitaire, susceptible d’entraîner des sanctions pour celui qui le remettrait en question. Il est frappant de constater que lorsque j’ai moi-même proposé qu’on enseigne le rôle positif de la France outre-mer, le Conseil Constitutionnel a abrogé le texte… Pas celui de Taubira !

Il ne s’agit pas ici d’histoire mais de mémoire, et si la première intéresse d’abord les historiens, la mémoire est et a toujours été politique. Celui qui dit le contraire est un Tartuffe ! Le tout est de savoir à quoi doit servir la mémoire. Elle était avant tout destinée à célébrer les héros, les grandes heures du passé national, et les hommes qui peuvent servir de modèles à ceux d’aujourd’hui. Elle avait pour but de susciter une fierté nationale indispensable pour souder la nation et notamment faciliter l’assimilation des nouveaux arrivants.  Peu à peu, elle a inversé son rôle : la commémoration remplaçait les héros par les victimes, et la fierté par la repentance. Au lieu de magnifier la nation, elle mettait en exergue les dettes de celle-ci à l’égard de communautés particulières. Pour faire prendre conscience, disait-on, d’un passé qu’il ne fallait pas revivre, on a surtout fini par montrer le visage d’une France qui n’était guère attirante et à laquelle les nouveaux arrivants avaient cette fois des réparations à faire valoir. L’idée stupide, antinationale, qui consiste à choisir Stora pour mener une mission “historienne” sur la colonisation et la guerre d’Algérie est le comble de la faute : le but serait de “réconcilier” les peuples français et algérien. Comme si un travail d’historien pouvait atteindre ce but ! Comme la “mémoire” algérienne est quant-à-elle clairement orientée, qu’elle légitime la dictature militaire par une guerre “gagnée” contre l’horrible colonisateur coupable de tous les méfaits, elle ne pourra accepter du côté français qu’une vision compatible avec la sienne. Les déclarations scandaleuses de Macron sur la colonisation, crime contre l’humanité, et l’orientation politique de Stora  laissent supposer le pire. Si on confiait ce travail à Jean Sévillia, auteur d’un excellent livre sur la colonisation de l’Algérie et sur la guerre, la mémoire serait évidemment très différente. Elle ferait sans excès honneur à la France !

 

 

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3 commentaires

  1. On ne mesurera jamais assez les conséquences de l’erreur d’une élection présidentielle aussi démocratique qu’elle soit !

  2. Quand a-t-on commencé à accepter les revendications mémorielles d’une minorité ? Il semble bien que c’est en 1995, avec le discours de Chirac.
    Si on le fait pour une minorité, alors les autres suivent. Ce n’est donc pas la seule loi Taubira qu’il aurait fallu traiter comme celle sur la mémoire de la colonisation, si on avait voulu s’en tenir aux motifs officiels de remise en cause de celle-ci.

    Le fond de l’affaire semblant bien être qu’il est préférable de ne pas avoir de minorités (au sens identitaire) passionnellement revendicatrices parmi ses citoyens.
    Il y a des pays qui le savent, et qui agissent en conséquence : le Japon, par exemple, ne veut pas faire venir de Coréens, et encore moins autoriser la double nationalité.

    Naturellement, en France, la droite libérale est toujours très tentée par la signature de traités internationaux plus ou moins bien médités et plus ou moins bien examinés, qui portent par exemple obligation d’accueil, de libre circulation, etc etc. et finissent par conduire à la constitution de minorités (qui, mises bout à bout, sont d’ailleurs de moins en moins minoritaires).
    Aussi n’est-il pas étonnant qu’on finisse par avoir des revendications mémorielles…encore n’est-ce que le début.

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