Erdogan, la puissance et la peur.

erdogansuleimanComme l’écrivait Gaston Bachelard, “l’Homme est une création du désir, non pas une création du besoin”. Les tragédies comme les épopées ont cette origine. La politique est tissée par une navette qui va de l’un à l’autre. Les peuples ont besoin d’échapper à la misère et à la peur. Ils ressentent un besoin de sécurité qui les amène en premier lieu à demander à leurs dirigeants de les protéger contre la faim, le dénuement et la violence. Ceux qui détiennent le pouvoir cherchent à répondre à ces demandes dans le désir de s’y maintenir. Ils peuvent aussi succomber au vertige de l’autorité sans limite, de la puissance conquérante. Ils peuvent s’enivrer des fastes qui accompagnent le pouvoir. Mais les peuples aussi ont des désirs. Les individus qui les composent veulent  la sécurité, mais aussi la liberté, ou plutôt les libertés, qui vont du désir d’autonomie jusqu’à la licence, à la course aux menus plaisirs. Ceux qui sont à leur tête cherchent l’équilibre entre les uns et les autres. Ils peuvent aussi céder à la facilité du “panem et circenses”. Ils peuvent encore user de la peur pour asseoir leur autorité, la peur qu’ils inspirent, mais aussi celle dont ils prétendent délivrer. Ils peuvent enfin transmettre leur soif de puissance aux peuples qu’ils entraînent dans des aventures militaires. De la peur surmontée à la domination vengeresse, il n’y a souvent qu’un pas.

La récente victoire d’Erdogan et de son parti, l’AKP en Turquie offre à ce sujet une source de réflexions. Depuis le XIXe siècle, l’islam somnolent, dominé, colonisé et la Turquie ottomane qui en incarnait la principale puissance politique, connaissaient un humiliant déclin. Les nationalismes turc et arabes ont constitué un premier sursaut. Dans les années 1930, Ataturk consolidait le premier  à Ankara tandis que les seconds naissaient notamment avec le parti Baas en Syrie. A la même époque, les Frères Musulmans réveillaient l’islam en Egypte. Autant la synthèse du nationalisme et de l’islamisme est difficile dans les pays arabes puisqu’ils comprennent parfois des minorités non-musulmanes et que la communauté religieuse est plus vaste que chacune des nations, autant, elle a été facilitée en Turquie par l’élimination des minorités religieuses et par la continuité du nationalisme turc. Le sultan ottoman a régné de la Mer Noire jusqu’aux confins du Maroc. Il était aussi le calife, le commandeur des croyants, le chef religieux de la communauté sunnite. Le pouvoir sans partage qu’une majorité de Turcs a donné à Erdogan dimanche dernier n’est pas sans lien avec ce souvenir et cette nostalgie.

L’AKP, son parti dit “islamo-conservateur” dirige la Turquie depuis 2003. Il détient la majorité parlementaire, le gouvernement et la Présidence. Pendant un temps, il a délivré les Turcs d’un pouvoir laïc kémaliste encadré par les militaires, libéré l’expression religieuse de l’islam, et surtout accompagné une croissance économique dont a bénéficié une large partie de la population. Fort de ce redressement qui a donné aux Turcs un meilleur confort de vie et engendré un sursaut d’orgueil, le Président Erdogan a connu le vertige de la puissance, avec la construction d’un immense et somptueux palais et une volonté d’étendre son hégémonie au-delà des frontières. Le soutien des prétendus démocrates-musulmans turcs aux Frères Musulmans très présents dans le Printemps Arabe, leur alliance avec les Qataris et les Saoudiens wahhabites contre la Syrie d’Assad, mais aussi dans les Balkans ont dévoilé le vrai visage de la Turquie que certains envisagent encore de faire entrer en Europe. Après l’éradication des Arméniens, des Grecs et des Assyro-Chaldéens chrétiens au début du XXe siècle, l’immense majorité des Turcs est aujourd’hui sunnite. Mais il subsiste une minorité ethnique importante (20%), les Kurdes majoritaires dans le Sud-Est du pays. L’AKP a d’abord donné des signes d’apaisement et de réconciliation. Au lendemain de l’arrivée au Parlement du parti kurde HDP, et de la perte de la majorité absolue, Erdogan a changé son fusil d’épaule. La tentative de faire main basse sur la Syrie en faisant tomber le régime Assad et en le remplaçant par un pouvoir musulman ami a fait long feu. Au contraire des poches autonomes kurdes se sont consolidées en Syrie le long de la frontière turque tenues par de proches parents du PKK, le parti turc dissident qui se bat pour l’indépendance du Kurdistan. La détérioration de la situation économique a noirci le tableau. La croissance est tombée de 9,4% en 2004 à 2,9% en 2014. Le chômage, l’inflation et la dépréciation monétaire traduisent cette dégradation.

Pour poursuivre son rêve de puissance, le Président turc a doublement utilisé la peur, celle que son armée peut susciter par ses interventions contre les rebelles kurdes et celle que le peuple turc ressent à mesure que la violence se répand sur son territoire. Le 10 Octobre, une manifestation kurde est touchée par un attentat sanglant qui fait 102 morts. L’Etat islamique est accusé. Pour laver l’affront, l’aviation turque va mener des opérations punitives, mais elle bombarde surtout les Kurdes, doublement victimes. L’AKP se fait le gardien de la sécurité et rassure en se dressant à la fois contre Daesh et le PKK. Une partie des nationalistes du MHP reporte ses voix sur elle. Les pressions sur les médias, la monopolisation de l’information, des irrégularités relevées par l’OSCE font le reste. L’AKP a retrouvé la majorité absolue. Erdogan peut de plus belle entretenir la rébellion syrienne, lâcher des milliers de migrants chaque jour sur l’Europe et obtenir de la décevante Mme Merkel des signes favorables  à l’adhésion de la Turquie à l’Union Européenne.

Le besoin de sécurité et d’autorité pour l’assurer d’une part, le nationalisme turc de l’autre vont permettre à Recep Tayyip Erdogan de reprendre sa dérive mégalomaniaque.

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6 commentaires

  1. «  Le besoin de sécurité et d’autorité….le nationalisme…. »
    On en voudrait bien nous aussi avec un homme ou une femme pour l’incarner. Une Turquie renaissante et conquérante n’est peut être pas une bonne nouvelle pour la France et l’Europe mais nous sommes bien mal placés pour leur dire ce qu’il leur faut comme gouvernement puisque nous n’en avons pour ainsi dire plus.

    Les turcs ont sans doute compris qu’il valait mieux un vrai chef à la tête de leur État comme les russes l’ont compris avant eux. Depuis quatre décennies, les français préfèrent choisir des marionnettes dont les ficelles sont tirées depuis l’étranger, au profit de l’étranger.

    Les turcs ont choisi, eux, de défendre leurs intérêts nationaux et on serait bien inspiré d’en faire autant. Les français commencent à comprendre que l’intérêt national est leur propre intérêt. Il nous faut un Erdogan ou un Poutine pour remettre la France debout. Il n’est pas obligatoire que ce soit un homme ; une femme possédant une âme de chef peut tout à fait faire l’affaire….

  2. La France a peut-être encore cela en magasin, c’est au peuple d’en sortir un ou une des tiroirs de nos isoloirs…et cela arrivera, si l’on veut continuer à vivre dans ce pays que l’on aime !

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