Le latin face aux barbares

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“Tous les individus ne naissent pas avec des facultés égales… En cherchant à faire apprendre davantage à ceux qui ont moins de faculté et de talent, loin de diminuer les effets de cette inégalité, on ne ferait que les augmenter.”

Condorcet 1791

La grève des professeurs ne semble pas faire reculer le gouvernement. Comme d’habitude le pourcentage de grévistes passe de 25% si on prend en compte la totalité des enseignants à 50% si on calcule par rapport aux professeurs qui devaient être en cours au moment de la grève.  Les motivations sont disparates : certains craignent de voir leur horaire diminuer, voire leur poste disparaître, d’autres redoutent un surcroît de temps passé en réunions interdisciplinaires ; certains craignent l’accroissement du pouvoir des principaux, d’autres redoutent la perte d’autonomie dans leur travail pédagogique ; certains craignent l’abandon de l’excellence, d’autres redoutent l’augmentation  d’une sélection sournoise.

Le collège comme l’ensemble du système éducatif n’est pas fait pour fournir un emploi aux professeurs. Il a pour but de permettre aux élèves puis aux étudiants d’acquérir les savoirs fondamentaux, de développer leurs aptitudes et de s’insérer dans la société et avant tout dans le monde du travail. Mais à travers cette première finalité, il en existe une seconde qui est de renforcer la cohésion et d’améliorer les performances nationales. Des personnes mieux formées pour un pays plus fort, tel devrait être le but de l’Education Nationale. La défense compréhensible de leur discipline et de ses horaires par les professeurs n’est donc pas l’enjeu essentiel. Cette réforme s’inscrit dans un processus de trahison du pouvoir à l’encontre de la nation. C’est la véritable question que les réticences syndicales risquent de masquer en regardant la réforme par le petit bout de la lorgnette.

Cette réforme est avant tout portée par une idéologie. Elle correspond comme celles qui l’ont précédée à la volonté de démocratiser. S’il s’agissait de diminuer le nombre des échecs en rétablissant des filières et des modes d’enseignement adaptés aux capacités des élèves afin de les conduire à des réussites fondées sur leurs différences, on le comprendrait. Mais il s’agit au contraire de lutter contre les déterminismes sociaux, de supprimer les filières d’excellence, de soustraire son héritage à l’héritier, en un mot de niveler. Pour la gauche, l’ascenseur social, c’est tout le monde au rez-de -chaussée. On prétexte l’ennui, en oubliant qu’à l’école d’aujourd’hui, deux ennuis s’affrontent, celui des élèves que l’enseignement n’intéresse pas parce qu’ils n’ont ni motivation sociale, ni pré-requis culturel, et celui des élèves qui savent déjà et dont l’intelligence est en manque d’exercice. C’est aux uns et aux autres qu’il faut s’intéresser, et ce ne peut être dans la même classe et de la même manière. Une nation a évidemment besoin d’une élite. L’héritage social, familial participe à sa formation. C’est une économie dont le pays aurait tort de se passer. Il lui faut seulement veiller à ce que cette élite indispensable s’élargisse et se renouvelle par la détection et l’encouragement des talents et des mérites. C’était l’idéal de “l’école de la République”, comme ils disent, qui était clairement élitiste et méritocratique. Les Hutus en coupant les jambes des Tutsis n’ont guère amélioré la situation du Rwanda que les Tutsis gouvernent à nouveau depuis vingt ans.

La remise en cause de l’enseignement du latin, plus encore que du grec, participe hautement de cette trahison. Le latin est la mère de notre langue, de ses soeurs ou cousines du sud de l’Europe. Non seulement elle fournit l’intelligence du français par l’étymologie, mais encore elle est au coeur de la transmission de notre identité. Le latin c’est le lien de notre civilisation avec l’ordre romain dont elle est l’héritière. Lorsque l’Empire d’Occident s’est dissous dans la submersion barbare, l’Eglise a maintenu ce qu’elle pouvait de cet ordre avec sa langue, le latin. Pourquoi parle-t-on de renaissance, sinon pour signifier la redécouverte de ces racines par le monde laïque et profane. S’attaquer au latin, c’est une fois encore vouloir gommer notre identité. C’est un acte de barbarie. C’est accepter que l’hétérogénéité prétendument non assimilable des jeunes issus de cultures étrangères à cet héritage d’une part, l’invasion du sabir anglais d’autre part, nous obligent à nous dépouiller de ce que nous sommes.

Les langues anciennes ont aussi donné l’expression “fort en thème”. Cela n’a rien d’anodin. La clarté et la rigueur de la grammaire latine, les subtilités du grec, les liens de cette langue avec la philosophie étaient des terrains d’exercice privilégiés de l’intelligence verbale. Certes, ce n’est pas la seule, et il y a de l’intelligence dans la conception et la réalisation d’une serrure comme dans la composition latine ou la résolution d’une équation. On voit cependant à quel point la maîtrise de la logique, le sens de l’ordre des pensées sont nécessaires aux dirigeants. La baisse du niveau chez ceux qui nous dirigent aujourd’hui et qui se se font un plaisir de parler anglais est déjà suffisamment cruelle.

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10 commentaires

  1. La Déclaration du 26 août 1789 acceptait la «  distinction des vertus et des talents  »  (article 6) : membre de phrase rajouté lors des débats du 21 août 1789, sur proposition de T. G. de Lally-Tollendal (1751-1830), et qui frôla l’unanimité. Cette Déclaration ayant valeur constitutionnelle depuis 1973 (Conseil constitutionnel, décision 51-DC du 27 décembre 1973), on dispose ici d’un moyen juridique de contrer l’égalitarisme.

    Selon Condorcet  : «  Tous les individus ne naissent pas avec des facultés égales […] En cherchant à faire apprendre davantage à ceux qui ont moins de facilité et de talent, loin de diminuer les effets de cette inégalité, on ne ferait que les augmenter.  » (Nature et objet de l’instruction publique, 1791)

    1. La citation de Condorcet est évidemment excellente. C’est la condamnation de la démarche socialiste actuelle. Je vais la mettre en exergue du texte. Merci.

    2. Il faudrait préciser le “davantage” de Condorcet : on gagne toujours à se perfectionner dans les domaines qui relèvent de nos capacités ;
      ex: un ébéniste , et la société, gagnent à l’existence de l’Ecole Boulle ; par contre, il serait absurde de considérer que tout ébéniste devrait à tout prix y entrer, et encore moins, faire des études universitaires…
      L’erreur fondamentale de l’idéologie socialiste, est de vouloir donner à tous une même bouillie … et leur faute gravissime est de l’imposer au Pays.
      A chacun son domaine d’excellence, et cela passe par des formations différentes adaptées aux capacités des élèves : tous les individus n’ont ni la même sorte d’ intelligence (d’où l’absurdité des méthodes pédagogiques imposées du style “audio-visuel”, pour les langues , pernicieuse pour ceux qui ont besoin de se baser sur l’écrit, ou de la méthode globale pour la lecture… ), ni le même niveau: un QI de 70, ne pourra pas apprendre comme un QI de 140…

  2. La réforme risque de se faire puisque les décret et arrêté sont publiés en application d’une loi de 2013…L’empressement à le faire doit avoir pour motif essentiel le congrès du PS où les socialistes vont pouvoir pavoiser sur leur grande capacité à réformer.

    Nous avons devant nous de sinistres petits dictateurs de poche, belliqueux, obtus, fourbes, près à tout, pour cogner et faire mal. Les laïcards de la IIIè République sont bel et bien là, la bave à la bouche et les yeux exorbités.

    Le nivellement par le bas pour tous est une chose certaine mais je crois qu’il vaut aussi pour la Caste car le niveau de culture générale de nos « élites » est en chute libre aussi. Ils pensent que leurs propres enfants vont pouvoir y échapper, eux qui sont scolarisés dans de bonnes écoles privées parisiennes, puis dans les lycées prestigieux.

    Mais quand on entend les jeunes intellectuels qui en sont récemment sortis, on peut avoir des doutes sérieux. C’est un effondrement général. Il ne reste de l’instruction publique qu’un tas de poussière.

    Nous allons sans doute revenir aux temps où ceux qui savaient lire, écrire et compter constituaient une minorité ; ceux qui connaissaient l’histoire, la littérature et la philosophie, constituaient un groupuscule de lettrés isolés dans une société dangereuse.

    On redescend à grande vitesse vers les ténèbres de l’obscurantisme, du fanatisme, des rites bizarres, une sorte de post-histoire qui auraient les caractéristiques de l’Europe des invasions barbares. Il faut peut être commencer à envisager de cacher les livres anciens avant qu’il leur vienne à l’idée de les brûler….

  3. “’à l’école d’ aujourd’hui, deux ennuis s’affrontent;
    – celui des élèves que l’enseignement n’intéresse pas parce qu’ils n’ont ni motivation sociale, ni pré-requis culturel,
    – et celui des élèves qui savent déjà et dont l’intelligence est en manque d’exercice. C’est aux uns et aux autres qu’il faut s’intéresser, et ce ne peut être dans la même classe et de la même manière.”
    comme vous avez raison…la preuve en est donnée par les établissements spécialisés dans les QI élevés….

  4. La sur-consommation excessive, la jouissance à tous crin (tout et tout de suite), l’abêtissement devant les jeux et gadgets technologiques mais aussi la télé-réalité, l’enfant-roi allergique à toutes contraintes…plus dure sera la chute pour ces générations! je pense à Huxley :

    Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes. L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées.

    Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif. Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, par la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser.

    On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté.

    Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur. L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu.

    Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutienne devront ensuite être traités comme tels. On observe cependant, qu’il est très facile de corrompre un individu subversif : il suffit de lui proposer de l’argent et du pouvoir.

    Extrait du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley (1931)

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