Intervention sur la PPL protection de l’identité

Auteur d’une proposition de loi () et de plusieurs amendements (voir ici) visant à lutter contre l’usurpation d’identité, j’étais l’orateur du Groupe UMP sur une Proposition de loi sénatoriale “protection de l’identité” hier après-midi à l’Assemblée nationale. Voici mon intervention :

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Christian Vanneste.

M. Christian Vanneste. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Mlle Bouhezila voulait se marier ; elle découvre qu’elle l’est déjà, à un homme dont elle ignore l’existence. Son identité avait été utilisée pour permettre un mariage blanc. Depuis dix ans, Mlle Bouhezila ne parvient pas à faire effacer le faux mariage de son état civil.

Manuel se trouve à payer des mensualités de 6 000 euros pour un crédit que des fraudeurs ont obtenu en usurpant son identité. Des taudis insalubres ont été acquis dix fois leur valeur par Manuel, « à l’insu de son plein gré»! Sami est lyonnais et désormais interdit bancaire. Victime d’un vol de son identité par un fraudeur, il ne peut plus avoir de compte bancaire, en raison de ceux qui ont été ouverts en son nom. Gabriel a été l’objet d’un redressement fiscal et de la visite d’huissiers, parce que d’autres personnes ont travaillé sous son identité ; il a été interdit bancaire pendant cinq ans.

On pourrait ajouter de très nombreux cas, par exemple celui de la personne convoquée régulièrement par les tribunaux parce que son propre frère commet des grivèleries sous son identité. Celui d’un projet de mariage que ne peut mener à bien un célibataire qui désespère de prouver qu’il n’est pas marié. Son identité, là encore, a été usurpée, et ce « vol » détruit littéralement la vie de la victime et, bien sûr, ses libertés essentielles. Pensons également à ceux qui ne résistent plus à la déstructuration de leur identité administrative, à l’impossibilité de prouver qu’ils sont eux-mêmes, et qui attentent à leur propre vie par le suicide…

Le problème est donc posé : il y a, d’une part, la protection de l’identité d’une personne et de la capacité que cette personne a de vivre dans notre société en pouvant faire des choix essentiels et les assumer ; il y a, d’autre part, la nécessité de protéger les libertés individuelles et de défendre la notion de liberté publique. Un discours abstrait peut donner l’avantage aux secondes sur la première, mais il ne résiste pas à la logique. Voler à une personne son identité, lui faire commettre apparemment des actes qui ne sont pas les siens, l’empêcher d’agir comme elle le souhaite, voilà l’atteinte la plus profonde à ce qui fait le droit humain fondamental : être soi-même et agir librement dans le respect des lois.

Montesquieu écrivait fort justement que la liberté, chez un citoyen, venait du sentiment que celui-ci a de sa sûreté. Dans son discours de Harvard, Soljenitsyne regrettait l’avantage que l’Occident avait tendance à donner à la liberté de mal faire par rapport à la liberté de bien faire.

C’est pour cette double raison qu’il convient aujourd’hui de voter un texte qui vise à protéger l’identité d’une personne, c’est-à-dire sa sûreté, c’est-à-dire sa liberté contre les fraudeurs, les faussaires, les aigrefins de tout poil.

Dans cette démarche, il convient d’obéir à deux préoccupations, d’abord celle de l’efficacité, ensuite celle des limites nécessaires à imposer à la protection de l’identité pour que celle-ci n’entraîne pas une atteinte aux données personnelles, voire une utilisation de ces données personnelles à des fins contraires à la liberté. Ce serait en effet passer de Charybde en Scylla.

M. Jean-Paul Lecoq. Le risque zéro n’existe pas !

M. Christian Vanneste. Le texte qui est issu des travaux de notre commission des lois a trouvé un parfait équilibre entre ces deux risques, en revenant notamment sur certaines dispositions du Sénat qui privilégiaient le souci des libertés formelles au détriment des libertés réelles. Tout à l’heure, monsieur le ministre, vous avez souligné cet équilibre. Par ailleurs, le dispositif est suffisamment encadré pour éviter les excès.

Des excès, il y en a déjà eu dans les commentaires de certains qui ont, comme d’habitude, fait référence à Orwell – qu’ils n’ont sans doute pas lu – ou qui ont employé systématiquement le terme de « policier » dans un sens péjoratif, ce qui est une insulte à l’égard de fonctionnaires qui remplissent une mission de service public de première importance. Madame Batho, vous avez utilisé un argument intéressant. Vous avez dit que nous manquions de moyens policiers, pour justifier ensuite que l’on retire un moyen essentiel d’identification consenti sous la réserve, bien sûr, d’une réquisition judiciaire. Autrement dit, vous voulez plus de moyens policiers, mais moins de moyens d’action pour la justice. C’est paradoxal ! Il faudra vous expliquer…

Le texte issu de la commission vise trois objectifs. Il permet d’abord de donner une plus grande fiabilité aux documents d’identité en permettant d’avoir recours à un composant électronique sécurisé contenant les indications, notamment biométriques, nécessaires à une identification précise et sûre de leur détenteur. Il facilite ensuite l’utilisation sereine des réseaux de communication électronique avec, là encore, une grande sécurité d’identification. Il relie enfin ces documents à une seule base de données afin d’assurer une protection plus grande vis-à-vis des fraudes fondées sur l’usurpation d’identité.

Comme vous l’avez souligné, monsieur Blisko, notre mode de vie dans un contexte mondialisé, où la technique et la démocratie se sont alliées pour multiplier de façon exponentielle nos libertés de communication et de déplacement, entraîne aussi une augmentation des risques. Dans un village d’il y a encore deux siècles, tout le monde se connaissait, et si l’on remonte plus loin, le nom patronymique était inutile, car chacun connaissait l’autre. Il suffisait d’avoir un surnom. Aujourd’hui, jamais la liberté n’a été plus grande ni l’identité plus autonome, mais elles sont toutes deux menacées par la capacité des délinquants à utiliser les dimensions et les distances du monde où nous vivons pour substituer une vie à une autre, soustraire un avantage, usurper un droit, bref, pourrir la vie d’une autre personne.

Un monde plus ouvert, une société plus complexe, un État plus protecteur ont accru la circulation des personnes et des biens, les prestations sociales, les moyens de paiement. Les opportunités et les avantages de la fraude se sont développés au point que leur coût pour la collectivité est l’objet d’évaluations qui vont, pour les fraudes sociales, de 458 millions d’euros constatés à 20 milliards estimés dans le rapport de notre collègue Dominique Tian. Le seul remède à cette dérive réside dans un contrôle plus rigoureux, fondé notamment sur l’identification des bénéficiaires. La Suède, par exemple, une démocratie quasi parfaite, s’appuie sur un registre national de la population avec un numéro unique pour chaque résident. Il n’y a strictement aucun rapport avec Vichy, monsieur Blisko !

M. Serge Blisko. C’est une autre culture !

M. Christian Vanneste. Eh bien, on peut en changer ! C’est en général l’attitude que vous défendez !

L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales a noté, en 2009, 13 900 fraudes documentaires et 11 621 condamnations ont été prononcées. Comme l’écrit Christophe Naudin : « La clé de voûte de l’activité criminelle industrielle est la fraude documentaire ; depuis 2005, la criminalité identitaire est devenue le plus petit dénominateur commun de toutes les infractions. »

On comprend, dès lors, la nécessité d’un outil plus efficace pour protéger l’identité. Dans ce but, la commission des lois a amélioré sensiblement le texte du Sénat en renforçant le lien entre les empreintes et la personne unique qui les possède. Le Sénat, dans un souci abstrait de protection des libertés, avait, en effet, créé une situation absurde fondée sur la technique des bases biométriques à lien faible. Cela aurait conduit à devoir procéder à des enquêtes longues et coûteuses mobilisant d’énormes moyens pour identifier, par exemple, les victimes d’une catastrophe naturelle. Notre rapporteur, Philippe Goujon, l’a clairement rappelé dans une démonstration sans appel.

De même, le Sénat avait écarté l’utilisation des données à des fins de recherche criminelle. Il est évident – cela a été en tout cas corroboré par les orateurs de l’opposition – que la liberté des faussaires et des criminels est une priorité de la République, tout au moins pour eux et par pour nous, Dieu merci ! Soljenitsyne avait bien raison !

La commission des lois a donc rendu plus efficace l’utilisation des documents d’identité et du fichier central, mais elle l’a, en revanche, encadrée afin de protéger les libertés individuelles. Il est normal que l’efficacité dans le cadre de la lutte contre les fraudes soit maximale, mais il serait dangereux de permettre l’accès aux données personnelles de manière excessive. C’est pourquoi, contrairement à ce qui a été indiqué, la durée de conservation des données personnelles a été limitée à quinze ans. Ce n’est pas éternel, monsieur Blisko ! De la même manière, la vérification de la validité d’un titre d’identité permettra de s’assurer de celle-ci à partir de données qui ne seront pas portées à la connaissance de la personne chargée des vérifications. Les vérifications seront possibles, mais, et c’est toute la différence, on ne disposera pas des données ! Il n’y aura donc aucune atteinte à la liberté individuelle, mais une protection de la liberté individuelle de la victime potentielle ! C’est donc bien un fichier des victimes et non des coupables qui est ici mis en œuvre ! Enfin, bien sûr, seuls sont autorisés à procéder à une vérification à partir des empreintes digitales les « agents chargés d’une mission de recherche et de contrôle de l’identité des personnes ».

La puce de services, quant à elle, ne sera absolument pas imposée à l’utilisateur et ne sera mise en place qu’à sa demande. C’est, encore une fois, le signe que cette proposition de loi va dans le sens de la liberté.

Le texte qui nous est proposé est donc très équilibré. Il répond à la situation très délicate subie par les personnes victimes d’une usurpation d’identité, littéralement dépossédées d’elles-mêmes et souvent entraînées dans un dédale kafkaïen de démarches et de procédures coûteuses et traumatisantes. En revanche, la protection qu’il accorde à cette liberté essentielle qui consiste à être soi-même est encadrée et ne peut en aucun cas porter atteinte aux libertés individuelles nécessaires à la vie démocratique. Libérer les victimes et réduire la liberté de ceux qui envahissent la liberté des autres, n’est-ce pas une manière responsable et concrète de promouvoir la vraie liberté ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. Je vous remercie, monsieur Vanneste, d’avoir respecté votre temps de parole.

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4 commentaires

  1. Lu dans le compte rendu de l’assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2010-2011-extra/20111008.asp#P774_199591

    C. Vanneste : “Orwell décrivait une société très précise, la société stalinienne, et il le faisait parce que c’était un ancien communiste. ”

    C’est faux, Georges Orwell était un partisan socialiste, plus proche de la common decency anglaise que du Sovietisme. Oui 1984 est une parabole sur les dérives de ce régime politique, mais n’oubliez pas qu’il a eu toute sa vie le goût du combat contre toutes les formes de totalitarisme, qu’il soit colonialiste, communiste ou celui provoqué par le marché du libre-échange.

    Vous moquez m. Blisko pour son erreur, je vous invite également à ne pas résumer G.Orwell à un “communiste repenti”.

  2. “La Suède, par exemple, une démocratie quasi parfaite”.

    Une démocratie quasi-parfaite où les droits de chacun sont respectés, démocratie où le mariage pour les couples de même sexe est autorisé, y compris à l’église, et les adoptions par ces mêmes couples permises.

    Quasi parfaite, car les trans y subissent encore, par exemple, des discriminations.

    Vous devriez vous inspirer bien plus souvent de la Suède (et de son église luthérienne) M. Vanneste.

    11 députés pour voter cette loi… Bel exemple de démocratie que l’on nous donne.

  3. Bravo pour votre intervention Monsieur Vanneste. je me permets juste une petite correction : vous citez le criminologue christophe naudin, et vous avez raison car c’est le seul type sérieux sur la question même si on dit qu’il est de gauche, mais lui écrit que la criminalité identitaire c’est 213.000 cas par an, dont 90% ne sont découverts que 2 à 20 ans plus tard. Votre chiffre de 13.000 ne reflete que les personnes arretées avec des faux papiers, mais pas toutes celles vivant sous des fausses identités. On peut etre sous une fausse identité et avoir des faux-vrais papiers, après avoir trompé l’administration. Je travaille sur un grand aeroport parisien et je connais bien le probleme.
    Je vous admire beaucoup et j’aime beaucoup votre culture. Vous elevez les débats à l’assemblée face a des orateurs qui ne lisent que Picsou magazine. Vous avez tres bien répondu a Blisko bravo, j’espère qu’il a été mouché.

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