Vanneste sur le projet de loi protection des sources des journalistes

Je suis intervenu, comme convenu (ici, ici), ce jeudi après-midi pour défendre ma conception de la liberté de la presse. Le Projet de loi relatif à la protection des sources des journalistes a été adopté. Vous trouverez ci-dessous mon intervention ainsi que la réponse de Madame le Garde des Sceaux, Rachida DATI :

M. Christian Vanneste – Ce texte ne tend pas à protéger une profession, parfois sacralisée, mais à garantir un principe fondamental de la démocratie : la liberté de communication, c’est-à-dire la liberté d’opinion pour l’émetteur et la liberté d’information pour le récepteur. C’est cette liberté que l’on garantit en protégeant les sources des journalistes.

La démocratie exige que l’opinion ne soit pas modelée par des idéologies dominantes et que l’information du citoyen ne soit pas déformée par des pouvoirs soucieux de protéger une opacité qui les sert. La transparence, définie par Guizot comme la « nécessité de publicité des affaires publiques », est une condition de la démocratie. La protection des sources de celui qui informe est, au risque d’être paradoxal, la condition de la transparence.

Un Président de la République, qui était pourtant toujours désireux d’être informé par tous les moyens, avait un jour qualifié les journalistes de « chiens » – ce sont plutôt en l’occurrence, des chiens de garde de la démocratie, comme l’a écrit la Cour européenne des droits de l’homme… C’est bien le rôle des journalistes d’investigation lorsqu’ils révèlent des dysfonctionnements ou des errements. Il s’agit d’une activité d’intérêt général, qui permet d’améliorer le fonctionnement même de la société, voire de protéger le pouvoir contre lui-même. Il est donc nécessaire de mettre la source des informations à l’abri des pressions ou des représailles.

Mais le chien de garde n’est pas un archange. J’ai été frappé, au cours des auditions, par la méfiance générale qui entoure la notion d’intérêt général, jugée trop vague. La contestation de ce principe, qui est au cœur de la jurisprudence de la Cour européenne, ne me semble pas valable : la loi doit être assez souple pour que la légalité du Parlement puisse faire place à l’équité des tribunaux ; en outre, les journalistes sont souvent liés à des intérêts particuliers, notamment leur carrière, leurs préférences idéologiques, ou encore le tirage et l’audimat.

C’est si vrai qu’une directive européenne, adoptée le 24 décembre 2003, oblige les journalistes financiers à faire preuve de la plus grande transparence lorsque leurs informations sont susceptibles d’entraîner des mouvements boursiers. Cette exigence ne me semble nullement en contradiction avec ce texte : dans une démocratie, la transparence des différents pouvoirs, notamment celui de la presse, est une nécessité. Il est bon, par exemple, qu’un journaliste d’investigation, auteur de l’ouvrage Génération Battisti : ils ne voulaient pas savoir, ait pu souligner l’aveuglement de certains de ses confrères.

La jurisprudence de la CEDH, qui fait référence à un impératif prépondérant d’intérêt public me paraît judicieuse. La protection des sources trouve sa limite lorsqu’un intérêt public incontournable l’emporte sur elle, notamment l’intégrité physique, la dignité d’une personne, la sécurité nationale ou tout autre impératif mentionné par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

La protection doit être effective sans être pour autant absolue dans son application. N’instaurons pas un secret professionnel, comme l’ont fait les pays scandinaves. Nous n’avons pas besoin d’une obligation de se taire, mais plutôt d’un droit à le faire, dans les limites inhérentes à l’intérêt public. Si d’autres moyens que la divulgation des sources permettent d’obtenir les même résultats à l’intérêt public, il faut les privilégier. C’est ce que prévoit la loi belge, bien qu’elle soit trop restrictive, notamment en cas d’enlèvement.

La protection doit en revanche être générale dans son application. Il faut inclure tous ceux qui concourent à l’information du public, même s’ils ne sont pas professionnellement des journalistes, et protéger tous les locaux et les moyens matériels utilisés.

Le texte qui nous est proposé tend à instaurer un équilibre entre les principes et les valeurs en jeu, mais aussi entre la presse et l’autorité judiciaire. C’est au pouvoir législatif, héritier de la fonction tribunicienne – la plus ancienne et la plus fondamentale des libertés d’expression –, et mode d’expression de la volonté générale, qu’il revient de fixer les limites entre l’investigation journalistique et l’enquête judiciaire.

J’ajoute que les objectifs de la loi seront d’autant mieux atteints qu’ils seront également intégrés à l’éthique des professions concernées. La recherche de la vérité et du bien commun doivent être les fondements d’une véritable « info-éthique », tout aussi nécessaire que la bioéthique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Rachida Dati, garde des sceaux  Monsieur Vanneste, vous avez opportunément rappelé ce que recouvrent les impératifs publics avec lesquels la liberté de communication doit se concilier dans un État de droit. Cela nous sera fort utile pour l’examen des amendements (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

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