Débat à fleurets mouchetés

juppefillonOn attendait un pugilat sanglant entre deux anciens Premiers Ministres appartenant à la même famille politique, celle qui domine le côté droit de l’hémicycle depuis le début de la Vème République en changeant d’appellation et de sigle. Tous deux ont été membres du RPR puis de l’UMP. Ils sont aujourd’hui Républicains. Ils se disent l’un et l’autre gaullistes, même si leur filiation est plus directement séguiniste pour François  Fillon et chiraquienne pour Alain Juppé. Ce sont avant tout des professionnels de la politique qui n’ont pas hésité à faire fluctuer leurs positions en fonction de l’air du temps et de leur stratégie personnelle, par exemple sur l’Europe, qui une fois de plus n’a pas été sérieusement abordée dans le débat. Celui-ci a donné lieu à un spectacle de qualité parfaitement maîtrisé par les protagonistes.

Sur la forme, chacun avait mesuré les risques d’un affrontement trop virulent. Non seulement il aurait nui à l’image des deux hommes, mais il aurait une nouvelle fois terni celle de leur mouvement dont la façade vient à peine d’être repeinte après le coup fourré de l’élection du Président de l’UMP, et l’opération manquée de Copé contre Fillon. C’était une menace sur l’ensemble d’une campagne qui fonde de légitimes espoirs chez les Républicains. Une guerre fratricide aurait laissé des traces et affaibli le candidat choisi à l’issue de la primaire face au candidat socialiste et à la candidate du FN et peut-être plus encore pesé sur les élections législatives. Les deux duellistes ont donc limité leur combat à un exercice de style, où chacun a tenu à rappeler la grande amitié qui les unissait, la correction qu’avaient toujours revêtue leurs rapports. Dans la panoplie du professionnalisme politique, l’art du comédien occupe une place de choix. Sans doute François Fillon joue-t-il avec une chaleur, une sincérité qui lui donnent un avantage sur un Juppé, qui a montré sa maîtrise technique des dossiers avec talent mais s’est aussi efforcé de sourire et d’être sympathique.

Sur le fond, les deux candidats qui hier encore s’opposaient, selon les commentateurs, aux deux extrémités de leur famille politique, l’un par son insistance sur des sujets de sociétés comme le “droit à l’avortement” à gauche, l’autre assimilé à Margaret Thatcher, à droite, se sont rapprochés, sans doute un peu trop pour que ce soit honnête. Ce recentrage émollient peut avoir déçu des partisans heureux d’avoir enfin des positions claires et conformes à leurs voeux. Il n’en sera rien. Une fois de plus la droite va se battre au centre. Une fois de plus, l’économie va être placée en première ligne des propositions. Sur ce plan, Juppé et Fillon ne sont pas très éloignés. L’un et l’autre proposent une diminution de la dépense et des emplois publics, le premier avec plus de prudence, ce qui permet au second de marquer un avantage qualitatif. La brutalité du choc des réformes qu’il annonce, notamment l’égalisation du temps de travail des fonctionnaires sur le privé, est un moyen de faire prendre conscience de l’état du pays. Avec Juppé, on continue la gestion. Avec Fillon, on annonce une révolution, mais la droite française a la mauvaise habitude de faire après l’élection le contraire de ce qu’elle avait annoncé auparavant. Sarkozy avait atteint un sommet en pratiquant une absurde ouverture à gauche après avoir conquis l’Elysée par la droite.

En raison du soutien de Sens Commun, Fillon était devenu, divine surprise, le champion des valeurs conservatrices. On le disait fervent laudateur de la famille traditionnelle, opposé au mariage unisexe, et même à l’avortement. Briser ainsi les tabous de la pensée unique, c’est à dire de la pensée dominante dans le microcosme médiatique, eût été suicidaire. François Fillon s’est donc empressé de démentir ces rumeurs en disant à Alain Juppé combien il était d’accord avec lui. Ainsi ne va-t-il rien changer pour l’avortement. Ainsi va-t-il se contenter de réduire la question du mariage à celle de la filiation, en exigeant que tout nouveau-né soit reconnu comme celui d’un homme et d’une femme, ce qui n’empêchera pas des situations de fait qu’on peut juger contraires à l’équilibre des enfants. Sa réponse sur l’avortement fut la plus vaseuse. Loin de faire valoir les idées qu’il dit possèder à titre personnel, il entend garder le principe d’un droit “essentiel” à l’avortement, qui ne serait pas “fondamental” pour des raisons juridiques. Tartufe n’était pas loin. On pourrait comprendre qu’il ne veuille pas supprimer la possibilité d’avorter en cas de détresse comme le disait la loi Veil, pour ne pas imposer ses convictions à une majorité qui n’en veut pas. Mais être le Chef d’Etat d’un pays où l’avortement est un “droit”de la femme, remboursé comme s’il s’agissait d’une maladie et ouvert aux mineures sans l’avis de leurs parents, alors qu’on juge cette situation détestable, témoigne d’un manque de cohérence préoccupant. La politique familiale ne connaître donc pas de choc qualitatif. On rétablira simplement le caractère universel des allocations familiales et l’avantage fiscal du quotient. On favorisera la liberté de l’enseignement. Ces évolutions seront salutaires au regard de la démolition entreprise par la gauche, mais elles ne constituent pas une révolution idéologique indispensable par rapport à la culture de mort que nous subissons depuis 1968.

Pourtant François Fillon a affirmé mener une bataille idéologique. C’est vrai surtout sur un point qui est celui qui l’oppose le plus à Juppé et qui souligne que Fillon est gaulliste alors que l’autre ne l’a jamais été. Lorsque Juppé prétend que l’identité française réside dans la diversité, c’est non seulement vide de sens, mais c’est le slogan crétin de la gauche. Il y a une identité française tissée par l’Histoire dont il faut faire le récit aux jeunes Français et à tous les jeunes qui vivent en France. La réserve de Juppé sur le roman national auquel il oppose la science historique est un de ces truismes qui sont le propre des esprits superficiels. L’enseignement de l’Histoire appelle nécessairement sélection et interprétation, qui lui enlèvent l’objectivité que possède la physique. Un chercheur peut être scientifique. Une page qui résume une époque n’a rien à voir avec la science, mais est le plus souvent de l’idéologie déguisée. Autant qu’elle serve à aimer son pays plutôt qu’à le dénigrer. Le réalisme de Fillon à l’égard de la Russie qui s’oppose à la continuation de la politique pro-américaine par Juppé est une seconde supériorité du premier sur le second.

Fillon l’a donc emporté aux points. Il sera sans doute le candidat de la droite et du centre à l’élection présidentielle. Le pluriel “centres” employé par Juppé laisse entrevoir la possibilité d’un autre concurrent. La gauche sera-t-elle présente en ordre dispersé ? Dans ce cas, le Front National pourrait affronter l’ancien Premier Ministre de Sarkozy avec l’espoir de crever le plafond de verre. Mais le débat portera alors sur l’économie et sur l’Europe. Une fois de plus la droite des valeurs, la droite conservatrice sera sur la touche. Il est toujours plus facile de soigner un corps que de préserver une âme.

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6 commentaires

  1. Avant-hier, Christiane Juppira a déclaré qu’aux Antilles françaises, la France n’est pas un pays de race blanche. Or, dans ces territoires, les habitants -majoritairement créoles- ont conservé précieusement des références historiques napoléoniennes et même royalistes. Contrairement à ces populations ultra-marines, l’actuel Maire de Bordeaux exclut ainsi l’anatomie des sciences historiques.

  2. Blanc, jaune, noir…quelle importance.Après la déclaration de Taubira, on peut constater que la “connerie” n’a pas de couleur spécifique !

  3. Bonjour à tous ,
    Permets moi Christian de donner mon avis sur ce débat dont tu parles .
    1)Oui l’Europe n’a pas été sérieusement abordée dans ce débat : Fillon le Séguiniste devrait être souverainiste mais il fluctue dans l’air du temps comme tu dis .
    Attendons le FN sur ce sujet important .
    2)Sur le plan économique Juppé se recentre mais pas Fillon qui annonce une révolution radicale libérale et brutale .Il va rétablir le caractère universel des allocations familiales et l’avantage fiscal du quotient pour remplir les poches des cathos aisés , ces cathos bourgeois qui devraient vivre aussi l’Evangile de solidarité du Prophète Jésus pas seulement les valeurs morales !!
    Fillon va aussi appliquer une forte TVA qui touche tous les revenus appauvrissant les pauvres et comme Juppé il va supprimer l’ISF !! oh la la !!
    Il prône le non -remplacement de 500,000 fonctionnaires qui devront travailler 39 heures payées 37 .Brutal .
    3) A propos de sa politique familiale l’ex vision sociétale de Fillon faisait de lui le champion des valeurs conservatrices opposé à raison au mariage homo et à la pensée dominante/unique homo/sodomite/sidaïque mais Fillon ne parle maintenant que de filiation , de bébé comme produit d’un homme et d’une femme .C’est mieux que ce que prône Juppé le pro-Sodome mais c”st insuffisant .
    Dommage .
    4)Quid de l’avortement ?Eh bien Fillon et Juppé accordent à raison ,ô combien ce droit à la femme à l’encontre des familles aisées dont l’angle bourgeois reste fermé aux difficultés des femmes qui y ont recours .Bien sûr l’avortement ne doit jamais être banal mais doit rester une délivrance .
    5)La politique étrangère de Fillon, Dieu merci , n’est pas sioniste pro Netanyahu ,comme celle de Juppé, Fabius ,Sarkozy , Hollande etc, comme celle des médias monopolisés sionistes , politique infernale qui va pérenniser la guerre en Syrie contre Al Assad et Poutine !! pérennisant aussi les vagues migratoires effrayantes et le terrorisme !! j’ai prié pour qu’il gagne dimanche dernier .
    6) Quant à l’identité nationale qui reste une question primordiale Fillon s’oppose à Juppé qui prône la diversité culturelle .
    Le “roman national ” de Fillon s’oppose à tort à la “science historique “de Juppé car ces 2 idéologies peuvent se marier au nom de l’identité nationale .Juppé prône à raison l’intégration sans assimilation dans le respect des cultures divergentes .Et il refuse à raison de faire l’amalgame entre l’Islam et l’Islamisme .
    Cela dit insistons pour que notre identité française reste Chrétienne , pour qu’aucune autre culture importée ,qu’elle soit musulmane , judaïque ,asiatique, africaine /animiste , franc-maçonnique/sioniste ,bouddhique ,hindouiste etc ne remplace notre brillante culture française Chrétienne , son Histoire , sa musique , sa littérature , sa sculpture , son architecture ,sa peinture , sa gastronomie etcetc .Amen .Alléluia !
    Bien à vous . Rita Pitton http://ritapitton.overblog.com
    Philosophe spirituelle et sociale .

  4. S’il nous faut conserver l”ISF, augmenter le nombre de fonctionnaires et diminuer leurs temps de travail…alors gardons François Hollande cinq ans de plus pour en final organiser les obsèques de la France . Dans ce domaine, il a maintenant une bonne expérience !

  5. @ DELAFOSSE:

    ” Blanc, jaune, noir…quelle importance.Après la déclaration de Taubira, on peut constater que la « connerie » n’a pas de couleur spécifique ! ”

    En fait de connerie, ce sont les simulacres de débat qui sont méprisables, à l’instar de celui du 19 Février 2007, pendant lequel Brigitte Girardin et Dominique de Villepin avaient inventé de toute pièce une promesse du Président de la République relative à l’exclusion de 19.806 citoyens des élections provinciales de Mai 2009 en Nouvelle-Calédonie. Ce vote du Congrès, organisé durant la campagne présidentielle d’un ancien Ministre de l’Economie, trouve son origine dans les Accords de Bercy conclus en l’an 2000 aux termes desquels un massif minier fût acquis par la SMSP pour un montant confidentiel, aujourd’hui encore. Cependant, en Décembre 2005, la société Falconbridge s’était retirée de ce projet, soit parce qu’elle contestait la valeur des actifs de la SMSP, soit parce que cette dernière voulait seulement exporter du minerai vers les marchés asiatiques émergents. Curieusement, au même moment, alors que les délais d’action en justice -notamment en rescision pour lésion- étaient prescrits, Madame Girardin donna son accord aux indépendantistes pour le gel du corps électoral, en échange d’une poursuite des négociations financières avec d’autres sociétés minières. A une époque où Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin étaient en concurrence pour la succession de Jacques Chirac, Brigitte Girardin préféra éviter un scandale budgétaire public qui venait du gouvernement de Lionel Jospin, mis en place suite à la dissolution de 1997. D’ailleurs, c’est si vrai que, le 19 Février 2007 à Versailles, ces questions budgétaires furent soigneusement dissimulées par un mensonge d’Etat.

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